Varanasi ne se dit pas, elle se vit.

Elle n'est ni poétique ni glamour ni charmante. Elle est imprégnée de mort, de vie, et de religion. Cette spiritualité qui est partout, dans l'encens pleins les rues, dans les vaches ornées de fleurs, dans les brahmanes illuminés. Spiritualité gâchée, bafouée par ces rabatteurs, ces vendeurs, ces escrocs qui vous vendent une meilleur vue sur les ghats de crémations, qui vous prélèvent un pourboire de force sur votre monnaie au restaurant, qui vous masse alors que vous dites non avant de vos réclamer de l'argent, qui vous propose de la marijuana au beau milieu des temples…
Comme beaucoup de ville en Inde, nous sommes aussi déçus qu'émerveillés, un paradoxe incessant qui vire-volte entre magie et oppression.

Le Gange est un des plus grand fleuve au monde. Il fournit la moitié des besoin en eau à environ 500 millions de personnes. Pour se faire, de nombreux barrages ont été construit, diminuant massivement le débit du fleuve. Les nombreuses usines qui ont prospéré le long du Gange : tanneries, usines chimique ou de textile, abattoirs et hôpitaux y rejettent 25 % de leurs effluents. Mettez y un petite touche de pollution provenant des intrants agricoles et peaufinez avec les déchets organiques des 29 villes que le Gange traverse. L'état sanitaire catastrophique du Gange n'est plus à démontrer. Cependant, toute la vie de Varanasi se déroule au bord du Gange. Cette foisonnante activité religieuse contribue dramatiquement à détériorer l'état de l'eau. Ce fleuve sacré attire des centaines de milliers de fidèles qui affluent de toutes l'Inde pour se purifier. Rendre son dernier souffle à Varanasi et/ou y être incinéré, c'est être délivré du cycle infernal des réincarnations.

"Si dans la nouvelle Inde prospère les Indiens s’affranchissent des castes, à Varanasi, le temps est suspendu au bon vouloir de la tradition."

Nous avons trouvé un hôtel à deux pas des ghats, deux minutes nous suffisent pour rejoindre le bord de l'eau. Une fois sur les marches, nous assistons à ce spectacle à couper le souffle. Les hindous se plongent tout entier dans l'eau et y font des rituels de purification. Nous avons observé cette vie qui grouille sous tous les angles : à pieds, en bateau, au lever de soleil, au coucher du soleil et parfois dans la chaleur écrasante qui règne sur les marches en pleine journée. La tourista carabinée et persistante de François ne nous a pas facilité la tâche. Les indiens y font des ablutions mais aussi leur lessive et y lavent même leurs buffles. On y croise des brahmanes, des illuminés, des mendiants... Tous les soirs à 19h sur le Desaswameth Ghat, une grande cérémonie religieuse a lieu : le Ganga Aarti. Une sorte de « messe » à ciel ouvert où les fidèles déposent des bougies flottantes sur le Gange et prient tous devant des jeunes brahmanes qui répètent un rituel. Sur les ghats de purification, c'est la vie même qui est devant nous : coloré, bruyante et anjouée …

Lorsque nous arrivons à hauteur des ghats de crémation, l'ambiance est indescriptible. C'est une ambiance de mort à la fois très pieuse et humble mais à la fois crue et brutale. L'atmosphère y est brûlante et la fumée des différents feux pique les yeux et le nez. Les coupeurs de bois fendent les bûches dans un bruit sourd et régulier, devant des immenses empilement de bois. Il y a des animaux partout : des vaches qui profitent de la chaleur des feux, des chèvres et des chiens qui semblent à la perpétuelle recherche de restes humains à se mettre sous la dent. Et les corps arrivent, drapés de tissus oranges et dorés, pour être trempés dans le Gange avant d'être disposés sur le feu. Environ 500 corps brûlent chaque jour sur les Ghats de Manikarnika et Harishchandra. Une fois brûlé, totalement ou partiellement en fonction du prix que la famille a pu payer pour le bois, le corps finit dans le Gange. Cependant les âmes pures ne nécessitent pas d'être brûlées pour attendre le Nirvana. Les enfants de moins de 10ans, les lépreux, les hommes piqués par un serpent, les brahmanes et les femmes enceintes sont simplement lestés et mis à l'eau. Imaginez à l'époque où la lèpre faisait rage à quelle point ces pratiques sanitaires ont dues être catastrophiques …
Je précise que les photos de ces lieux sont considérées comme interdites. Il est cependant toléré d'en prendre à partir du bateau. Je me suis aussi risquée à prendre un cliché de la terre ferme en étant à 100m du Ghats … Lorqu'un Indien m'a vivement demandé de baisser mon appareil photo, je me suis sentie particulièrement honteuse. Il m'est parfois difficile de trouver une juste place alors que je voudrai partager avec respect ces coutumes qui me fascinent.

Pour finir, les petites rues étroites de la vieille ville, où nous logeons, sont une merveille. Elles ne doivent pas faire plus d'un mètre cinquante de large. Pourtant, il faut que se croise les vaches, les motos, les vélos, les porteurs, les touristes et les habitants : c'est une vraie foire. D'ailleurs les vaches sont particulièrement nombreuses et bien traitées dans cette ville. Il y aurait même une maison de retraite pour les vaches qui ne produisent plus de lait. Être une vache à Varanasi c'est le pied ! Par contre nous devons faire attention aux nôtres car le sol de ces ruelles est jonché de bouses et de déchets ... les odeurs allant avec ! La concentration de population ne nous pèse pas, nous avons appris à nous faufiler dans la foule sans soucis. Ce qui nous agresse et nous fatigue ce sont les motos qui tentent de circuler dans ce chaos. Dans les ruelles étroites entre des maisons d'environ 3 ou 4 étages, les motos roulent à toute vitesse, bousculant et klaxonnant sans retenue. Elles rendent la progression oppressante et dangereuse.

Le guide du routard dit de Varanasi que l'on en repart pas sans avoir gagné ou perdu une parcelle de son âme. Je n'arrive toujours pas à savoir duquel des deux il s'agit. La puissance spirituelle de cette ville peut boulverser les plus athés d'entre npus.Cette ville teste sans cesse notre patience, notre pudeur et notre tolérance. Elle nous pousse dans nos retranchements, dans notre visions du monde et dans notre manière d'appréhender ces « autres » si différents de nous. Varanasi marque définitivement une parcelle à l'intérieur de nous...